Si hagués nascut dona [French translation]
Si hagués nascut dona [French translation]
Si j’étais né femme, j’aurais rendu heureuse
ma mère, qui voulait une fille.
En souvenir de la grand-mère morte en 36,
on m’appellerait Joana.
Joana, Joana,
celle de « l’habileté »
Celle du quatre-vingt-quinze
de la rue Cabanyes.(1)
Si j’étais né femme, pour mon bien ou mon mal,
subtilement j’aurais été conditionnée
avec des poupées, des petites cuisines, aiguille et dés.
Des outils miniatures
pour une obscure
vie future
Venins mêlés
avec des gâteries.
C’est tout un dire, une supposition
une histoire en blanc et noir.
Blanc était le froid et noir, le pain
la guerre à peine finie.
Si j’étais né femme, j’aurais fait tourner
paisiblement l’ancienne ronde de la patate
tandis que les garçons jouaient à sauter et à défiler,
ils montaient aux arbres,
lançaient des balles,
s’empoignaient,
et pissaient debout,
dans les recoins.
Si j’étais née femme, j’aurais étudié
jusqu’à arriver à la "cuarta", et avec un peu de chance, peut-être, l’enseignement. (I)
Soumise, discrète pour que jamais le voisinage
ne puisse n’en rien dire.
Seraient de liège(2)
la clé et la paie
et à la maison à neuf heures et quart
au plus tard. Je te le jure.
Et pleurer du sang une fois par mois,
caché sous un masque
le tourbillon des sentiments
comme presque, et bien presque toutes.
Si j’étais née femme, continuons à inventer...
Après des années d’économies et de fréquentation amoureuse
je me serais mariée à l’église, vêtue de blanc
La mère pleurerait
disant que c’est de joie,
quand m’emmènerait
par le bras un prince bleu
"de comédie"
Si j’étais né femme, pour mon bien ou pour mon mal
Je me serais fatigué de ravaler mes peines,
de préparer la soupe (3), de changer des couches,
de baisser sans envies...
Joana, Joana
essuyant la crasse
s'activant sans arrêt
et tirant la charrette.
Ou qui te dit que je ne me serais pas débrouillée
avec le sultan de la Verneda.
Si c'est face ou pile personne ne le sait
jusqu'à ce que ne retombe la (pièce de) monnaie.
Si j'étais né femme, parlant avec le miroir
chaque jour, plus vieille, chaque jour, plus grosse.
Voyant comme s'envolent un à un les enfants
et soupant toute seule,
pleurant dans la casserole
les lèvres desséchées,
mettant des fleurs sur les souvenirs
et s'occupant des grands-parents.
Ou peut-être un beau jour, je m'en serais allée
au-delà du ciel protecteur de la maison
par des chemins indociles, loin de mon troupeau
retrouver Joana,
Joana, Joana
celle de "l'habileté"
Celle du quatre-vingt-quinze
de la rue Cabanyes.
- Artist:Joan Manuel Serrat
- Album:Mô (2006)