La Chanson de La Palisse [English translation]
La Chanson de La Palisse [English translation]
Messieurs, vous plaît-il d'ouïr
L'air du fameux La Palisse ?
Il pourra vous réjouir
Pourvu qu'il vous divertisse.
La Palisse eut peu de bien
Pour soutenir sa naissance,
Mais il ne manqua de rien
Dès qu'il fut dans l'abondance.
Bien instruit dès le berceau,
Jamais, tant il fut honnête,
Il ne mettait son chapeau,
Qu'il ne se couvrît la tête.
Il était affable et doux,
De l'humeur de feu son père,
Et n'entrait guère en courroux
Si ce n'est dans la colère.
Il buvait tous les matins,
Un doigt, tiré de la tonne,
Et mangeant chez ses voisins,
Il s'y trouvait en personne.
Il voulait aux bons repas
Des mets exquis et fort tendres,
Et faisait son Mardi Gras,
Toujours la veille des Cendres.
Ses valets étaient soigneux
De le servir d'andouillettes,
Et n'oubliaient pas les œufs,
Surtout dans les omelettes.
De l'inventeur du raisin,
Il révérait la mémoire ;
Et pour bien goûter le vin
Jugeait qu'il en fallait boire.
Il disait que le nouveau
Avait pour lui plus d'amorce ;
Et moins il y mettait d'eau
Plus il y trouvait de force.
Il consultait rarement
Hippocrate et sa doctrine,
Et se purgeait seulement
Lorsqu'il prenait médecine.
Il aimait à prendre l'air
Quand la saison était bonne ;
Et n'attendait pas l'hiver
Pour vendanger en automne.
Il épousa, se dit-on,
Une vertueuse dame ;
S'il avait vécu garçon,
Il n'aurait pas eu de femme.
Il en fut toujours chéri,
Elle n'était point jalouse ;
Sitôt qu'il fut son mari,
Elle devint son épouse.
D'un air galant et badin
Il courtisait sa Caliste,
Sans jamais être chagrin,
Qu'au moment qu'il était triste.
Il passa près de huit ans,
Avec elle, fort à l'aise ;
Il eut jusqu'à huit enfants :
C'était la moitié de seize.
On dit que, dans ses amours,
Il fut caressé des belles,
Qui le suivirent toujours,
Tant qu'il marchât devant elles.
Il brillait comme un soleil ;
Sa chevelure était blonde :
Il n'eût pas eu son pareil,
S'il avait été seul au monde.
Il eut des talents divers,
Même on assure une chose :
Quand il écrivait des vers,
Qu'il n'écrivait pas en prose.
Au piquet, par tout pays,
Il jouait suivant sa pente,
Et comptait quatre-vingt-dix,
Lorsqu'il faisait un nonante.
Il savait les autres jeux,
Qu'on joue à l'académie,
Et n'était pas malheureux,
Tant qu'il gagnait la partie.
En matière de rébus,
Il n'avait pas son semblable :
S'il eût fait des impromptus,
Il en eût été capable.
Il savait un triolet,
Bien mieux que sa patenôtre :
Quand il chantait un couplet,
Il n'en chantait pas un autre.
Il expliqua doctement
La physique et la morale :
Il soutint qu'une jument
Est toujours une cavale.
Par un discours sérieux,
Il prouva que la berlue
Et les autres maux des yeux
Sont contraires à la vue.
Chacun alors applaudit
À sa science inouïe :
Tout homme qui l'entendit
N'avait pas perdu l'ouïe.
Il prétendit, en un mois,
Lire toute l'Écriture,
Et l'aurait lue une fois,
S'il en eût fait la lecture.
Il fut à la vérité,
Un danseur assez vulgaire ;
Mais il n'eût pas mal chanté,
S'il avait voulu se taire.
Il eut la goutte à Paris,
Longtemps cloué sur sa couche,
En y poussant des hauts cris,
Il ouvrait bien fort la bouche.
Par son esprit et son air
Il s'acquit le don de plaire ;
Le Roi l'eût fait Duc et Pair,
S'il avait voulu le faire.
Mieux que tout autre il savait
À la cour jouer son rôle :
Et jamais lorsqu'il buvait
Ne disait une parole.
On s'étonne, sans raison,
D'une chose très commune ;
C'est qu'il vendit sa maison :
Il fallait qu'il en eût une.
Il choisissait prudemment
De deux choses la meilleure ;
Et répétait fréquemment
Ce qu'il disait à toute heure.
Lorsqu'en sa maison des champs
Il vivait libre et tranquille,
On aurait perdu son temps
À le chercher à la ville.
Un jour il fut assigné
Devant son juge ordinaire ;
S'il eût été condamné,
Il eût perdu son affaire.
Il voyageait volontiers,
Courant par tout le royaume ;
Quand il était à Poitiers,
Il n'était pas à Vendôme.
Il se plaisait en bateau ;
Et soit en paix, soit en guerre,
Il allait toujours par eau,
À moins qu'il n'allât par terre.
On raconte, que jamais
Il ne pouvait se résoudre
À charger ses pistolets,
Quand il n'avait pas de poudre.
On ne le vit jamais las,
Ni sujet à la paresse :
Tant qu'il ne dormait pas,
On tient qu'il veillait sans cesse.
Un beau jour, s'étant fourré
Dans un profond marécage,
Il y serait demeuré,
S'il n'eût pas trouvé passage.
Il fuyait assez l'excès ;
Mais dans les cas d'importance,
Quand il se mettait en frais,
Il se mettait en dépense.
C'était un homme de cœur,
Insatiable de gloire ;
Lorsqu'il était le vainqueur,
Il remportait la victoire.
Les places qu'il attaquait,
À peine osaient se défendre ;
Et jamais il ne manquait
Celles qu'on lui voyait prendre.
Dans un superbe tournoi,
Prêt à fournir sa carrière,
Il parut devant le Roi :
Il n'était donc pas derrière.
Monté sur un cheval noir,
Les dames le reconnurent ;
Et c'est là qu'il se fit voir
À tous ceux qui l'aperçurent.
Mais bien qu'il fût vigoureux,
Bien qu'il fût le diable à quatre,
Il ne renversa que ceux
Qu'il eut l'adresse d'abattre.
Un devin, pour deux testons,
Lui dit, d'une voix hardie,
Qu'il mourrait delà des monts
S'il mourait en Lombardie.
Il y mourut, ce héros,
Personne aujourd'hui n'en doute ;
Sitôt qu'il eut les yeux clos,
Aussitôt il n'y vit goutte.
Monsieur d'la Palisse est mort,
Il est mort devant Pavie,
Un quart d'heure avant sa mort,
Il était encore en vie.
Il fut, par un triste sort,
Blessé d'une main cruelle.
On croit, puisqu'il en est mort,
Que la plaie était mortelle.
Regretté de ses soldats,
Il mourut digne d'envie ;
Et le jour de son trépas
Fut le dernier jour de sa vie.
Il mourut le vendredi,
Le dernier jour de son âge ;
S'il fût mort le samedi,
Il eût vécu davantage.
J'ai lu dans les vieux écrits
Qui contiennent son histoire,
Qu'il irait en Paradis,
S'il n'était en Purgatoire.
- Artist:French Folk